Des signes dans le ciel par Paul Misraki (1978)
D'après l'Écriture Sainte, la « manne » est une nourriture tombée du ciel grâce à laquelle tout un peuple put subsister dans le désert «pendant quarante ans».
Chaque matin — plus exactement six jours sur sept, — une couche de rosée recouvrait les alentours du camp; puis, la rosée évaporée, apparaissait sur la surface du désert «quelque chose de menu, de granuleux (traduction incertaine), de fin comme le givre ». (Exode, 16, 14). « On eût dit de la graine de coriandre, c'était blanc, cela avait le goût de la galette au miel. » (Exode, 16, 31). Il fallait procéder au ramassage dès l'aurore, car ce pain du ciel fondait à la chaleur du jour.
Ici encore, les professionnels de démythification s'en sont donnés à coeur joie. La manne, disaient les uns, n'est qu'une sorte de résine sécrétée par le tamaris sous l'effet de la piqûre des cochenilles. La preuve, ajoute Werner Keller dans la Bible arrachée aux Sables, c'est que cette sorte de manne se rencontre couramment dans la région, où elle fait l'objet d'un commerce régulier. Il faut croire que cette preuve n'apparaît pas aussi lumineuse à tous, car d'autres, non moins doctes, voient dans la manne un lichen, association symbiotique d'un champignon et d'une algue dont la valeur nutritive très élevée se rapprocherait de celle de la chlorelle. Nous avons l'embarras du choix : tamaris plus cochenilles, ou algue plus champignon? Qui dit mieux?
Quoi qu'il en soit, si l'une ou l'autre de ces deux combinaisons se rencontre dans les déserts aussi couramment qu'on le prétend, on se demande pourquoi les Hébreux, en contact avec les caravanes qui sillonnaient les sables à longueur d'année, auraient pris cette banale substance pour un nouveau don de Dieu, à tel point que le souvenir en fut étroitement associé avec les événements de la Pâque et que les chrétiens y virent plus tard la préfiguration de l'Eucharistie : n'avaient-ils pas, entre-temps, reconnu que cette nourriture se retrouvait périodiquement dans les déserts environnants, à la portée de tous les voyageurs quels qu'ils fussent, et ne constituait nullement la marque d'une dilection spéciale de la part du Seigneur Yahvé ?
Ajoutons que les commentateurs naturalistes ont fait ici, une fois de plus, bon marché du contexte. Car le récit biblique insiste tout particulièrement sur un détail auquel il semble accorder une importance capitale, à savoir que la manne n'apparaissait que six jours sur sept, chaque sabbat étant marqué par sa complète absence ; le sixième jour, par contre, Israël en recueillait une ration double en vue du jour chômé. Quelle belle régularité dans le travail des cochenilles ! Et quelle constance aussi, puisque ce singulier repas fut servi aux Hébreux pendant quarante ans d'affilée!
Je pense plutôt qu'un rapprochement s'impose entre ces graines blanchâtres, tombées du ciel comme une pluie (« Je vais faire pleuvoir pour vous le pain du ciel », dit Yahvé), semblables à du givre sur le sol et se dissolvant dans l'air au bout d'un certain laps de temps, et ces divers produits d'aspect analogue récemment signalés lors du passage d'objets non identifiés : qualifiées en Amérique de «cheveux d'anges», en France de «fils de la Vierge », et à Fatima de «pétales blancs» ou de «sorte de flocons de neige », ces substances gélatineuses bientôt sublimées, n'ont jamais, il est vrai, démontré leur valeur nutritive, nous le reconnaissons volontiers. Mais outre le fait qu'aucun témoin de pareilles pluies ne semble avoir porté ces substances à sa bouche (certains n'en auraient même pas eu le temps), il est frappant de constater une flagrante similitude d'aspect entre toutes ces subs¬tances blanchâtres et volatiles en rapport étroit avec l'apparition dans le ciel d'un objet inconnu. Aussi bien l'Exode précise-t-il que la chute de la manne fut précédée par une apparition de la Gloire de Yahvé, visible pour tous.
Et nous en venons à nous demander si ce «pain du ciel » différait sensiblement de celui que les Grecs nommaient l'ambroisie,
nourriture des «dieux», à laquelle de rares mortels, admis à la goûter, attribuaient un léger goût de miel...
La Vulgate fait dire à l'ange Raphaël : « Moi, je me nourris d'un aliment invisible, et d'une boisson que les hommes ne connaissent point. » (Tobie, 12, 19).
Extrait du livre: Des signes dans le ciel- Paul Misraki
Editeur : Robert Laffont, 1978
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